Dans cette exposition-enquête au Mucem, nous découvrons une autre mémoire de notre vingtième siècle. René L., schizophrène, déporté d’Algérie en 1963 propose à travers ses œuvres une nouvelle vision de cette période.


Un angle mort sur l’histoire franco-algérienne
À travers l’histoire de René, nous découvrons d’un autre œil la guerre d’Algérie grâce à cette exposition. Les co-commissaires, Béatrice Didier, directrice du centre d’art Le Point du Jour et Philippe Artières chercheur au CNRS, ont travaillé durant des mois sur l’histoire de cet artiste au témoignage si troublant.
Diagnostiqué schizophrène, il fut hospitalisé en asile toute sa vie. Son certificat d’entrée précise « délire chronique de structure imprécise à thème hypocondriaque. »
René L. a retranscrit dans ses œuvres de véritables témoignages historiques. Il écrit de nombreuses lettres au Président de la République ainsi qu’aux responsables de son établissement.
Des carnets entiers sont remplis et il dessine beaucoup notamment des plans de villes et de maisons. Il imagine également des installations pour organiser des Jeux olympiques en France.
Issu d’une famille alsacienne, l’artiste avait migré en Algérie. L’histoire de René se mêle donc à l’histoire collective.
« Il s’agit d’une colonisation très silencieuse. Les gens enfermés dans des asiles ont été rapatriés un an après. Quand l’ensemble des institutions quittent l’Algérie devenues indépendantes, les patients sont restés. René L. fait partie de ceux qui furent rapatriés bien plus tard. » Explique Patrick.


« À travers des archives de l’hôpital, nous avons découvert que René avait été rapatrié d’Algérie en 1963. L’histoire a commencé à ce moment-là, nous nous sommes intéressés sur qui était ce monsieur. Recherches simples. » Précise Béatrice.
Arrivé en Normandie lors de son rapatriement en France, René L. intègre l’hôpital psychiatrique de Picauville.
« Nous sommes partis d’un individu et nous avons remodelé avec des repères historiques. »
L’aliénation coloniale et les hétérotopies
Avec ces dessins précis et le travail des thérapeutes à son contact, nous découvrons une nouvelle approche de la folie.
Des travaux du psychiatre Frantz Fanon ainsi que ses ouvrages sont exposés. Ce médecin s’est essentiellement consacré à la rédaction d’ouvrages dénonçant le colonialisme et ses effets sur la psyché des colonisés.
Nous retrouvons également le travail du philosophe Michel Foucault, avec un extrait d’une conférence tenue en 1967. Ses manuscrits, mais surtout, son discours lors de sa soutenance de thèse en 1961 sont également visibles.
En effet, il imagine une science des espaces, une hétérotologie et décide d’en donner quelques éléments dans une émission de radio en 1967 nommée « utopie » et hétérotopie. L’hétérotopie étant considérée comme une utopie réelle.
Dans son texte, une des premières qu’il nomme est la colonie. « La transportation d’un monde dans un autre monde et ce monde vivant, isolé dans un autre monde. »
Cette exposition met en lumière l’artiste et ses Hétérotopies contrariées. René sera prisonnier toute sa vie de ces espaces. « René n’a vécu que dans l’hétérotopie. D’un hôpital à un autre. Son esprit n’a été marqué que par cette définition donnée par Foucault. Nous le voyons dans ses dessins d’habitation autonome, individuelle, préoccupé par les stades, les corps. On constate également une forme d’exaltation du corps et du bateau. » Explique Béatrice.
René est donc le témoin involontaire des hétérotopies architecturales du 20e siècle.
Une exposition immersive et contemporaine
Dans cet espace commun, les visiteurs retrouvent une contemporanéité du 20e siècle. L’exposition est composée de tables et non pas de vitrines.
« Généralement, le concept rencontre un individu ordinaire. Il est rare que l’individu percute un concept. C’est ce qui nous a donné envie. Envie d’une présence artistique ! » indique Patrick.


Des cartons à dessin, intacts, font le cadre de cette pièce. Nous pouvons admirer les figures de l’immeuble ainsi que du logement collectif, véritables obsessions pour René L.
Écrits, dessins d’enfants, photographies d’hôpitaux psychiatriques… Dans le contenu des dessins et cette recherche, nous comprenons la passion qui habitait l’artiste.
Tout au long de la visite, nous faisons un bond dans le temps. En plus des nombreux documents exposés, l’ambiance sonore est prégnante. Discours, projections… Laissez-vous transporter.
Alexandra Bischof
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