Flavia Sistiaga : Nature, Corps et Identité en Photographie

Flavia Sistiaga travaille à Paris en tant qu’artiste-photographe. Sa pratique s’axe autour de la nature et des corps en image, mais aussi sous une forme plastique. Elle puise son inspiration dans les contes et les mythologies pour créer des liens sur l’identité.

Son travail artistique se nourrit d’une réflexion profonde sur la nature, qu’elle soit humaine ou végétale, et sur la manière dont les deux peuvent se fusionner à l’aide de la photographie. En tant qu’artiste-photographe, elle s’intéresse particulièrement à la manière dont les corps dialoguent avec l’environnement naturel, en jouant avec les formes, les textures et les lumières. Les mythes et les contes ancestraux l’inspirent tout particulièrement, car ils offrent des représentations puissantes de la diversité des identités et des sexualités.

Pourquoi avez-vous choisi la photographie analogique et les techniques organiques plutôt que le numérique ?

L’argentique m’oblige à poser le regard. En effet, il installe un réel temps d’observation et de compréhension du modèle. Ça crée une intimité, une pudeur face au sujet, qui permet d’aborder le shoot avec plus de bienveillance. Le numérique engage une frénésie du clic qui laisse moins de temps pour déchiffrer les subtilités de chacun.e. Quant aux techniques organiques avec lesquelles je travaille, elles sont un jeu pour moi. Découvrir comment reproduire nos techniques modernes grâce à la nature, imaginer comment, sans rien d’autre que la forêt, je pourrais faire une image, c’est excitant.

L’utilisation de l’argentique dans ma pratique est essentielle, car elle impose un rythme plus lent, plus réfléchi. Chaque prise de vue demande une attention particulière, un regard posé. Finalement, une connexion plus intime avec le modèle. Cela génère un espace de confiance et de compréhension mutuelle, presque une forme de dialogue. En revanche, le numérique, bien qu’utile et rapide, entraîne une perte de cette intimité. Il induit souvent une logique de quantité plutôt que de qualité, un trop-plein d’images qui ne laissent pas assez de place à l’analyse des émotions humaines subtiles. Les techniques organiques, quant à elles, me fascinent. Elles me permettent de recréer des images à partir d’éléments naturels, sans artifice, et ce processus est toujours un défi créatif. Utiliser la forêt, les plantes, la terre, et la lumière naturelle pour réaliser une image est une expérience exaltante, qui me connecte à l’essence même de la création.

La mythologie est présente dans votre travail. Pourquoi cette thématique vous intéresse-t-elle et comment influence-t-elle vos photos ?

J’ai grandi au Pays basque, avec sa culture, sa mythologie, ses contes et ses fêtes qui célèbrent ces personnages et rituels. De là, je me suis intéressée à d’autres mythologies. Le lien qu’entretiennent ces créatures à la nature est un gros point d’intérêt dans mon travail. Le fait que leurs identités soient définies par ce lien à la nature plus qu’à autre chose a toujours été un refuge.

Le Pays basque, où j’ai grandi, est une région riche en traditions et en folklore. Les mythes et légendes qui y sont profondément ancrés ont toujours nourri mon imaginaire. Ces récits populaires, souvent peuplés de créatures mythologiques liées à la nature, ont façonné ma vision de l’identité. Ce lien indissociable entre les personnages mythologiques et leur environnement naturel m’a particulièrement marqué, car il reflète une manière de vivre en harmonie avec les éléments et les cycles de la terre. Mon travail explore précisément cette connexion : comment les identités, qu’elles soient humaines, animales ou végétales, se fondent dans un tout, et comment ce lien à la nature peut devenir un refuge face à un monde qui évolue trop rapidement.

La nature joue un grand rôle dans vos images ; y a-t-il un aspect particulier de celle-ci qui vous inspire le plus et comment montrez-vous la relation entre l’humain et la nature dans vos photos ?

Les détails, en général, ce sont toujours eux que je recherche, dans la nature comme ailleurs. J’aime chercher les similitudes entre nos corps et celle-ci. Montrer ces connexions visuelles qui nous relient et lient.

Je suis fascinée par les petites choses, les détails qui échappent souvent à l’observation quotidienne. C’est dans ces éléments minimes que réside souvent la beauté, la vérité. Dans la nature, comme dans le corps humain, chaque ligne, chaque texture, chaque forme est porteuse de sens. Je m’efforce de capturer ces moments où nos corps et l’environnement se rencontrent, s’entrelacent. Mon objectif est de dévoiler les connexions invisibles qui nous lient à la nature et aux autres, et de montrer à quel point tout est interconnecté. Ces petites similitudes visuelles sont les témoins d’une relation profonde entre nous et le monde qui nous entoure.

Avez-vous déjà expérimenté avec des procédés chimiques ou organiques pour créer vos images ? Si oui, pouvez-vous nous parler de l’une de vos expériences ?

Cela fait deux ans que j’explore différents procédés organiques pour créer des images grâce à la nature. Un des plus visuels est le chlorophyll print. C’est un procédé naturel de révélation d’une image grâce aux pigments végétaux des feuilles et à l’exposition au soleil. C’est une technique qui prend du temps, qui ne garantit pas un résultat, mais qui reconnecte complètement à la « magie » de la nature.

Depuis deux ans, je me suis lancée dans une exploration approfondie des procédés organiques, en particulier ceux qui utilisent les éléments naturels comme moyen de création. Le chlorophyll print, qui consiste à utiliser la chlorophylle des feuilles pour créer des impressions photographiques, est l’un des procédés les plus fascinants que j’utilise. Ce processus nécessite patience et attention, car les résultats sont imprévisibles. D’ailleurs, c’est précisément ce qui le rend magique. En effet, en travaillant avec la nature de cette manière, je me reconnecte à un monde plus primitif, plus authentique. En réalité, je redécouvre la beauté de la lenteur et de l’imperfection. C’est une forme de retour aux sources, où chaque image devient un témoignage unique du temps et de l’environnement dans lesquels elle a été créée.

Votre travail mélange souvent le passé et le présent. Comment arrivez-vous à combiner ces deux éléments avec la photographie ?

En essayant d’être la plus intemporelle possible au moment de créer mes images. J’essaie vraiment qu’il n’y ait pas de marqueur temporel. Sinon, je vais travailler le support ; le papier est très important dans l’expression de l’image. Il ajoute réellement une histoire à la photographie, selon sa texture ou son épaisseur, ce qui impacte sa temporalité.

Dans ma pratique, l’un de mes objectifs est de rendre mes images intemporelles, de manière à ce qu’elles puissent exister indépendamment de leur époque. Pour cela, je veille à ce qu’il n’y ait pas de repères temporels évidents dans mes créations. Cependant, je porte une grande attention au support utilisé, notamment le papier, qui est un élément fondamental dans l’expression de l’image. Selon sa texture, son épaisseur ou sa couleur, le papier peut transformer une photographie, lui donner une dimension supplémentaire, et faire ressortir une temporalité ou une atmosphère particulière. C’est dans le mariage entre l’image et le support que l’histoire se construit et prend vie.

Votre art explore aussi les liens entre nature et technologie. Comment vos photos nous poussent-elles à voir ces deux aspects différemment ?

Je m’inspire des technologies contemporaines utilisées dans la photographie pour les reproduire avec la nature (ex. : utiliser des encres végétales ou animales plutôt que chimiques pour l’impression d’images). C’est avant tout un travail de recherche qui puise dans d’anciennes techniques photographiques ou sérigraphiques, ainsi que dans des recherches contemporaines réalisées par des photographes anglais.e.s, etc. La nature devient alors technologie, si l’on peut dire ça comme ça.

Mon travail s’inspire des technologies contemporaines utilisées dans la photographie et l’impression, mais avec une approche différente. Plutôt que d’utiliser des encres chimiques, je privilégie les encres végétales ou animales, redécouvrant ainsi des procédés anciens tout en intégrant des éléments naturels dans le processus de création. Cela me permet de réconcilier la technologie avec la nature et de poser la question de leur relation. Je me nourris également des recherches réalisées par des photographes contemporains, notamment en Angleterre, qui utilisent des techniques alternatives pour explorer la frontière entre nature et technologie. Pour moi, la nature devient une forme de technologie, un outil de création capable de transformer l’image en un objet vivant et organique.

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Nicolas Lopez.

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